Devoir pour Trémeau

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05 | 10

Schaerbeek, rendu du devoir à Trémeau.

Schaerbeek, J-2 avant le rendu du devoir à Trémeau.
Exercice donné par Monsieur TT :
J'ai choisi des auteurs qui se positionnent par rapport à d'autres auteurs, choisissez un livre, lisez le et positionnez vous par rapport à lui.

J'ai choisi le livre de Jacques Rancière, "Le spectateur émancipé" et au sein de ce livre j'ai isolé un chapitre intitulé "L'image pensive".

Le terme seul faisait écho à mes travaux actuels et justifiait beaucoup de mes choix. Dès le début du chapitre, Rancière explique le titre de ce chapitre :
L'expression "image pensive" ne va pas de soi. Ce sont les individus que l'on qualifie à l'occasion de pensifs. Cet adjectif désigne un état singulier : celui qui est pensif est "plein de pensées", mais cela ne va pas dire qu'il les pense. Dans la pensivité, l'acte de la pensée semble mordu par une certaine passivité.
Alors que à la lecture du titre du chapitre je me sentais pleine de pensées, dès cette explication, passive face à l'intelligence de Rancière, je ne trouvais plus ma place dans l'articulation de sa pensée, chacun de ses mots renforçait mes intuitions, mais ses définitions me mordaient, m'excluant de l'idée d'image pensive à chacune de leurs ponctuations.
J'ai adhérée à tous les exemples donnés par Rancière lors de ce chapitre, mais je devais pour garder leur sens survoler certaines interprétations de l'auteur. J'ai lu à plusieurs reprises ce chapitre et à un moment pour comprendre une explication de Rancière j'ai du m'intéresser à un livre qu'il prenait en référence : La chambre claire de Roland Barthes, c'est la découverte de ce livre qui m'a permis de me réapproprier l'idée d'image pensive.

Je ne peux décortiquer le chapitre de Rancière, ce serait une tentative maladroite de paraphraser un discours dont la construction m'échappe, mais je peux dire à quoi m'ont servi ses mots. Les extraits que j'ai soulignés dans le livre m'ont supportée et m'aident encore à avancer dans mes intuitions cette année. J'ai considéré les exemples choisis par l'auteur comme des cousins bienveillants.
Voici une petite galerie de famille représentant moi et mes travaux dabord, puis ces cousins bienveillants, le contexte dans lequel je les ai rencontrés et quelques unes des considérations que j'ai pour eux.

Cette année mon travail de dessin pour mon master traite du même sujet que mon mémoire :
TITRE : Moite, moite, moite.
SUJET : Le cheveux comme support à la capillarité du songe.

Travail sur la suggestion : ce que l'on montre n'est pas ce qui est. J'ai cherché à tout prix cette année à éviter l'illustration d'une idée. Pour éviter que mes dessins subissent l'empreinte de ma volonté, j'ai choisis de dessiner d'après des impressions papier de photos. Ces photos sont prises par un autre, ma seule volonté est dans le choix que je fais parmi ces photos, principalement ce sont des photos de parties de mon corps, je ne choisis pas des photos pour ce qu'elles représentent mais pour leurs formes, leur composition, le stimuli qu'elles procurent, aucune narration, juste des impressions indéterminées. Une fois la photo choisie, je la reproduis au bic 4 couleurs, les avantages de la contrainte du bic 4 couleurs : pas de palettes, pas de choix, je vois, je dessine, pas le temps de penser.
C'est le tremblement de la main, l'indétermination du trait dans sa relation à l'image photographique qui rend le travail intéressant, parce qu'inattendu, voire improbable.
Le flottement entre le sujet, le processus/procédé, et l'impact doivent être mis en avant.Monsieur M1

Dès le début du chapitre, Rancière en parlant d'image pensive, semble définir le système que j'ai mis en place :
Cette indétermination remet en cause l'écart que j'ai essayé de marquer ailleurs entre deux idées de l'image : la notion commune de l'image comme double d'une chose et l'image conçue comme opération d'un art. Parler d'image pensive, c'est marquer à l'inverse, l'existence d'une zone d'indétermination entre pensée et non pensée, entre activité et passivité, mais aussi entre art et non-art.

Rancière choisit la photo comme exemple d'image pensive à analyser, il s'appuie sur les propos de Walter Benjamin pour nous libérer de l'aura de l'image liée à l'art et au culte religieux : l'image mécanique était pour lui l'image qui rompait avec le culte, religieux et artistique de l'unique.
Ce rappel du propos de Benjamin m'a éclairée sur le comportement des spectateurs face à mes dessins, je dessine sur un papier découpé à la main proche du A4, et les tirages des photos faits sur papier ordinaire à l'imprimerie de quartier ont tous une marge blanche. Dès mes premiers dessins j'ai repris exactement les photos et j'ai gardé la marge blanche. Pour ceux qui vivent dans notre société cette marge est familière, vous la retrouvez partout, photocopies, bordereaux de banque, prospectus. A chaque fois que je présente mes peintures à quelqu'un, je sens le spectateur encombré de l'aura dont parle Benjamin. Un public non averti n'ose pas s'approcher d'une peinture, et si il le fait ce sera avec peur, et même un membre d'une communauté avertie respectera un protocole avant d'émettre un avis sur l'œuvre accrochée, cette peur, ces protocoles empêchent l'accès à des réactions spontanées. Avec mes dessins qui ressemblent à des photos, ces peurs ont sautées, quelque soit le contexte(chez moi, lors des critiques à l'école) , j'ai vu le public s'approprier directement l'image et me livrer spontanément son avis. Mon public doit être disponible pour rendre mes images pensives.
En dessinant les photos je fais la culbute : je ne fais plus peur aux spectateurs, je profite de la pensivité de l'image photographique, et le dessin leur redonne une aura d'objet unique.
Rancière après nous avoir mis dans le climat "désarmant" de l'image mécanique, étayera sa réflexion avec une série d'analyses d'images, nous rappelant à chaque fois le contexte historique et social de la création et de la diffusion de ces images.

Je retrouve dans les exemples donnés par Rancière et surtout dans les définitions de l'image pensive qu'il en extrait des terrains dans lesquels je circule depuis toujours.
Voici des passages que j'ai retenus et que je confronte à mes dessins ou créations de cette année :
Des photos de rues parisiennes faites par Eugène Atget, Rancière dit :
du même coup elles se présentaient comme les pièces d'une énigme à déchiffrer. Elles appelaient la légende, c'est à dire le texte explicitant la conscience de l'état du monde qu'elles exprimaient.
Mon travail est composé de fragments qui peuvent être additionnés, montés, sans ordre strict. D'un accrochage à l'autre les combinaisons ont changées, et à chaque nouvelle disposition de puzzle la pensivité émergente était différente, appelant la légende, c'est à dire le texte explicitant la conscience de l'état du monde qu'elle exprimait.

Paraphrasant des propos du livre de Barthes, "La chambre claire", Rancière dit :
...ramener le dispositif technique à un processus chimique et identifier le rapport optique à un rapport tactile...répudier tout savoir, toute référence à ce qui dans l'image est l'objet d'une connaissance pour laisser se produire l'affect du transport.
Voici une phrase issu de mon blog(traduisez blog par : moyen d'écrire quotidiennement) :
Tu pars du fond, ça monte progressivement, tu ne sais pas ce que ça va donner, c'est un principe de révélation. Mon travail, pourrait être comparé à celui d'un laborantin, c'est de l'ordre de l'expérience chimique à ce détail près : je suis distraite, je ne regarde pas chaque détail, j'attends une matière.

En commentaire des images de La chambre claire Rancière dit :
matérialité des images...disproportion...détails...éléments détachables...court-circuit. Bon, ce sont des mots courts, mais ce n'est pas parcequ'ils sont petits qu'il ne faut pas les considérer comme des cousins comme les autres. Nous reviendrons sur ce passage plus tard.
Ces cousins là sont présents partout dans mon travail de cette année, je vous invite à voir mes dessins, j'accroche le 4 juin à l'école.

Décrivant des instants du roman de Flaubert, Madame Bovary, Rancière nous amène là :
Chacun des moments amoureux qui ponctuent Madame Bovary est en effet marqué par un tableau, une petite scène visuelle : une goutte de neige fondue qui tombe sur l'ombrelle d'Emma, un insecte sur une feuille de nénuphar, des gouttes d'eau dans le soleil, le nuage de poussière d'une diligence. Ce sont ces tableaux, ces impressions fugitives passives qui déclenchent les événements amoureux. C'est comme si la peinture venait prendre la place de l'enchainement narratif du texte. Ces tableaux ne sont pas le simple décor de la scène amoureuse;ils ne symbolisent pas non plus le sentiment amoureux...C'est bien plutôt un échange des rôles entre la description et la narration, entre la peinture et la littérature. Le processus d'impersonnalisation peut se formuler ici comme l'invasion de l'action littéraire par la passivité picturale.
Là nous nous trouvons au "nerf de la guerre" : L'arrêt dans le temps, c'est quelque chose que je cherche à approcher, ces instant insoupçonnés où tout est possible. J'aime entendre Gilles Deleuze qui lors d'une conférence à la Fémis sur la créativité, bifurquant sur l'oubli, évoquait le comportement des personnages de Dostoievski :
Chez les personnages de Dostoievski ça peut être un petit détail. Dans les personnages de Dostoievski il se passe quelque chose de très curieux assez souvent. Généralement il sont très agités. Un personnage dit :
"Une telle, Tania, m'appelle au secours, je cours, je cours, Tania va mourir si je n'y vais pas."
Il descend son escalier, et il rencontre un ami ou bien il voit un chien écrasé, et il oublie complétement, il oublie, il oublie que Tania l'attend en train de mourir. Il se met à parler comme ça, il va prendre le thé chez un camarade, et puis tout d'un coup il dit:
"Tania m'attend, il faut que j'y aille."
Qu'est ce que ça veut dire? Chez Dostievsky les personnages sont perpétuellement pris dans des urgences de vie ou de mort, et en même temps qu'ils sont pris dans des urgences, ils savent qu'il y a une question encore plus urgente, ils ne savent pas laquelle et c'est ça qui les arrête. Il y a quelque chose de plus urgent que ce que je suis en train de faire, et je ne bougerai pas tant que je ne saurai pas! Il y a une question plus profonde, qui est celle de l'existence.


Dernières citations des cousins chez Rancière, des cousins car je lie ces trois exemples par les mots qu'il en tire. Prenant comme exemple le travail d'Abbas Kiarostami, celui de Godard, et celui de Fritz Lang, Rancière me donne ces mots : ...Ce sont les régimes d'expression qui s'entrecroisent et créent des combinaisons singulières d'échanges, de fusions et d'écarts....Ce silence est lui même un certain type de figuralité, une certaine tension entre des régimes d'expression qui est aussi un jeu d'échanges entre les pouvoirs de médiums différents....
Il crée une surface où toutes les images peuvent glisser les unes sur les autres....forme...attitude...geste arrêté....condenser une histoire en tableau...enclencher une autre histoire...fraternité des métaphores...double pouvoir de chaque image...multiplicité
...articulé...enchainement narratif...métaphorisation infinie.

Durant un week-end chez moi, j'ai préparé l'accrochage de la dernière critique de l'année du cours de dessin de Monsieur M1. Je dispose d'un mur blanc de 6 mêtres de largeur, parallèlement auquel j'ai tendu 5 longueur de fil de fer blanc à 7cm du mur. Cet équipement, complété par des pinces à linge permet une grande souplesse dans l'exercice de montage.
J'ai déjà évoqué ces fragments qui peuvent être additionnés, montés, sans ordre strict, je voulais retenir l'essentiel de ce qui était né lors des montages précédents. Un par un, j'ai reproduit la disposition des 3 accrochages précédents, puis pour essayer, pour jouer,j'ai ôté des fragments, fait glisser les images, casser les figures pour laisser résonner chaque dessin. Mon mur est devenu une partition et chacune des images pouvait être prolongée d'un blanc ou liée à une autre. Chaque déplacement enclenchait une autre histoire.
Puisque je suis dans l'anecdote, je conclue celle-ci en précisant que ça a été la pire présentation de l'année pour mes travaux. Ce que j'avais retenu des mélodies créées chez moi sur les fils, une fois reproduites, épinglées dans le grand couloir de l'école sont devenues rien, un grand silence plat.
D'un lieu à un autre la pensivité des images s'était évanouie, il semble qu'elle soit sensible au contexte, mais je ne peux rien conclure, rien fixer, est ce que j'ai déjà évoqué mon accrochage le 4 à l'école, dans l'atelier de Monsieur M1?
Je viens de dire que je ne pouvais rien conclure, aussi vais-je juste placer le dernier cousin que j'ai souligné dans le chapitre L'image pensive de Rancière :
J'ai tenté de donner un contenu à cette notion de pensivité qui désigne dans l'image quelque chose qui résiste à la pensée, à la pensée de celui qui l'a produite et de celui qui cherche à l'identifier.


Je vais avoir besoin de plusieurs temps pour décrire la suite de mon expérience avec le chapitre de L'image pensive dans Le spectateur émancipé de Jacques Rancière.
J'ai dit, ci-dessus l'usage que j'avais fait de ce livre tout au long de l'année et à quel point j'étais attachée à ces cousins que m'avait révélés Rancière, mais j'ai également dit que si j'étais sensible aux mots qu'il employait, la construction de son discours m'échappait. Lors de mes lectures et mes relectures de ce chapitre à plusieurs reprises je me suis sentie comme un enfant qui essaye de lire pour la première fois un livre de grand, avec très peu d'images et qui à chaque fois qu'il est perdu, retourne vers les images, comme si, comme dans une bande dessinée, l'image pouvait lui donner le sens de ce qui lui échappe dans le texte. Le spectateur émancipé contient huit images dont quatre dans le chapitre qui nous concerne, quatre planches flottant au milieu des courants et des ressacs de la pensée de Rancière. Je suis retournée cent fois sur ces images et entre autres très souvent sur la deuxième et la troisième(qui correspondent au moment ou je décrochais dans le livre).
La semaine dernière j'ai du entamer l'écriture de mon devoir pour Monsieur TT, je savais que je n'avais pas le droit de juste énumérer les mots que j'aimais, et de dire que mes dessins étaient jolis. Aussi j'y ai été, j'y suis retournée, en voulant comprendre, et à chaque fois j'échouais en face de la troisième image, pas désagréable en soi, c'est une photo d'un homme, assis, menottes aux poings, tendu entre ombre et lumière (j'aimerais juste qu'il me regarde, j'en ai assez d'être exclue). Dès que je baissais les yeux de l'image au texte je tombais sur ces mots :
minée, la notion lacanienne de l'objet partiel. Mais ce n'est pas ici n'importe quel objet partiel.
Du coup je m'accrochais à nouveau à ma planche.
Le temps passait sans un mot d'écrit, j' ai voulu savoir de quoi parlait l'image de ce garçon menotté. Cette photo ainsi que la précédente sont issues d'un livre de Roland Barthes , La Chambre claire dans lequel d'après Rancière, Roland Barthes oppose la force de pensivité du "punctum" à l'aspect informatif représenté par le studium.
Barthes est cité à maintes reprises dans le chapitre de L'image pensive, et deux des quatre images sont issues de La Chambre claire, pourtant Rancière dénonce la lecture de ces images faite par Barthes, mais ce que dénonce Rancière ne me semble pas important dans ces images, j'ai l'impression qu'il se trompe de sujet. Concernant le garçon menotté, voici comment Rancière évoque la méprise de Barthes :
...Ce court-circuit est encore plus sensible dans un autre exemple de Barthes, la photographie d'un jeune homme menotté. Ici la répartition du studium et du punctum est déconcertante. Barthes nous dit ceci: "La photo est belle, le garçon aussi : ça c'est le studium. Mais le punctum, c'est : il va mourir. Je lis en même temps : cela sera et cela a été." Or rien sur la photo ne dit que le jeune homme va mourir. Pour être affecté de sa mort, il faut savoir que cette photo représente Lewis Payne, condamné à mort en 1965 pour tentative d'assassinat du secrétaire d'Etat américain.
Dans cette photo ce que je vois, c'est que le garçon est placé comme un objet de désir en face de moi, et en ne me regardant pas, il me blesse : Le manque. Je ne connais pas Barthes, mais je veux savoir pourquoi il a choisi cette photo, et ce qu'il en dit.
Je vais sur internet, je tape roland barthes chambre claire et je tombe sur une page destinée aux enseignants dont voici un extrait qui résume La Chambre claire :
De l’image photographique Barthes écrit qu’elle est de l’ordre de “ce qui a été une seule fois” et qui ne pourra plus se répéter “existentiellement”. Barthes cherche donc l’essence de la photographie du côté de l’irrévocablement perdu. Il venait de perdre sa mère à laquelle il était profondément lié, et sans elle la vie lui semblait “perdre son âme”, c’est-à-dire “sa qualité”. (p. 118) C’est à l’enseigne d’un deuil impossible à faire que s’écrit cet ouvrage sur la photo, que l’on ne pourrait pas qualifier d’essai ni d’écrit simplement autobiographique. Texte limite, mettant en cause les limites mêmes de la littérature. Dans La Chambre claire, l’émotion se donne comme point de départ. Le sujet de l’écriture y est plus que jamais impliqué, et pourtant l’affect n’est jamais laissé à sa seule expression mais délicatement analysé. Ici c’est le trouble, la perte, le vacillement du désir qui sont en jeu, et l’auteur s’y dit à la première personne.
En quatre lignes dans un article sur le net, j'apprends ce que ne m'avait pas dit Rancière : La mère de Barthes est morte, il est plein de tristesse au moment ou il écrit La chambre claire et c'est ce qu'il écrit.
Je suis retournée voir les photos en essayant d'imaginer pourquoi il avait choisi ces images.

Le jeune homme menotté : Nouveau regard, d'autres éléments et sentiments apparaissent, je ressens une nostalgie à cause du décor et de la photo en noir et blanc, la photo est partagée en deux, un côté ombre, un côté lumière, le jeune homme est beau et menotté, ce qui le place comme un objet de désir, mais il ne me regarde pas alors que je suis juste en face de lui. Je pense que Barthes ne parle pas du garçon sur la photo, mais de lui en face de ce garçon et de sa tristesse de ne pas( plus?) être considéré par l'être désiré. J'enchainais ma nouvelle lecture avec l'autre photo, j'avais évité de trop m'accrocher à cette planche depuis le début parce que les mots de Barthes que reprenait Rancière pour la décrire la rendait glissante, voire repoussante :
Barthes écrit"Je ne vois guère les têtes monstrueuses et les profils pitoyables(cela fait partie du 'studium');ce que je vois [...], c'est le détail décentré, l'immense col Danton du gosse, la poupée au doigt de la fille." Or en n'évoquant que cette partie de la description de l'image, Rancière me faisait remarquer les têtes monstrueuses, et je ne pouvais y voir autre chose. Et au lieu de me renseigner sur l'état de Barthes, Rancière me décrit le contexte de prise de vue.

Eclairée par la situation de Barthes au moment où il choisit cette photo, mon regard change. Et je vois tout de suite Barthes et sa mère. La "fille"(le terme fille est employé mais leur physionomie nous empêche de déterminer un age, ils sont vieux et enfants à la fois), semble deux fois plus grande que le garçon ce qui donne plusieurs impressions : elle voit plus loin que lui, il semble qu'il ait les yeux fermés, elle le domine et sa tête dépasse la frontière des arbres, elle est dans le ciel. Ils sont liés étroitement par leur isolement dans un paysage désolé, ce qui crée une idée de couple indéfectible entre eux ou de trésor/secret à transporter. Ils allaient dans le même sens, mais ils sont immobiles, ils ont cessé d'avancer.
Deux autres détails qui étaient repris par Rancière et que je n'avais pas compris jusque là, prennent tout leur sens :
l'immense col Danton du gosse, la poupée au doigt de la filleRancière dit que si Barthes a retenu ces éléments c'est manifestement pour leur qualité de détails, c'est à dire d'éléments détachables.
Encore une fois je retiens les mots de Rancière mais je les utilise dans un autre sens, voici ce que je vois : j'utilise la pente du grand col du petit homme je trace une droite vers la poupée qui est au bout du doigt de la grande fille et je vois une laisse invisible, le trait d'herbe qui les sépare nous montre le lien absent, le seul lien qui reste est l'ombre du garçon qui se glisse sous les jupes de la fille/mère.
Rancière continue de commenter les mots de Barthes en ces termes :
Il nous est difficile de décider, sur une vue de profil, si le col du petit est bien ce que les chemisiers appellent un col Danton. Il est sur en revanche que le nom de Danton est celui d'une personne décapitée. Le "punctum" de l'image, c'est en fait la mort qui est évoquée par le nom propre de Danton.
Je remercie encore Rancière pour son attachement aux mots et à leur sens historique, et si je replace cette idée dans l'image, je vois un petit garçon dont la tête est séparée du corps par un costume trop grand pour lui.
Cette intuition, je n'avais pas le droit de la soutenir sans avoir le livre de Roland Barthes.
J'achète le livre de Roland Barthes, tout y est. Merde, mais quel bonheur! Du coeur, des tripes, de l'humour, c'est bon...
Dès le début de ma lecture, je vois que Roland Barthes ne parle pas de raison, mais de sentiments.
Concernant l'image de la mère et du fils tout est confirmé de la vision que j'en ai eue, je compléterai juste par la phrase de Barthes qui accompagne la photo:
moi aussi , des deux enfants débiles d'une institution du New Jersey (photographiés en 1924 par Lewis H.Hine), je ne vois guère les têtes monstrueuses et les profils pitoyables (cela fait partie du studium);ce que je vois, tels les noirs d'Ombredane, c'est le détail décentré, l'immense col Danton du gosse, la poupée au doigt de la fille; je suis un sauvage, un enfant-ou un maniaque;je congédie tout savoir, toute culture, je m'abstiens d'hériter d'un autre regard.
C'est un cri, il chasse toute raison. Ce que je découvre dans le bout de phrase que ne nous citait pas Rancière c'est que ce regard qui était au dessus de lui enfant, il n'en veut pas d'autre. En regardant à nouveau l'enfant sur la photo, je vois Roland, encombré de son costume d'adulte, de son statut de référence à raisons, il est triste, et sa raison ne fait qu'étouffer ses sentiments d'enfant, de quand sa mère était là. Pour moi le col Danton c'est ça, l'age et le statut qu'il ne veut plus avoir parce qu'ils décapitent sa tête d'enfant, l'age où sa mère était là.
Rancière ampute le texte de Barthes de ceci : je suis un sauvage, un enfant-ou un maniaque;je m'abstiens d'hériter d'un autre regard.
Si il m'avait laissé ces mots, et donné le contexte dans lequel Barthes a écrit ce livre, l'idée d'image pensive que défend Rancière aurait été enrichie de ce que nous avoue Roland Barthes.
Roland Barthes avait prévu que son livre serait décrié par ses lecteurs habituels, il s'adresse à eux à plusieurs reprises :
car moi, je ne voyais que le référent, l'objet désiré, le corps chéri;mais une voix importune (la voix de la science) me disait alors d'un ton sévère : "Reviens à la Photographie. Ce que tu vois là et qui te fait souffrir rentre dans la catégorie 'Photographie d'amateurs'.".
Dans la phrase : je m'abstiens d'hériter d'un autre regard.
J'entends une interdiction de Roland Barthes, il ne veut pas que nous interprétions ce qu'il vient de nous donner, la substance de son message est dans le manque, chercher à combler ce manque par des mots supplémentaire c'est gâcher cette substance, ce que j'ai fait en interprétant sa vision des deux images reprise par Rancière, mais à l'époque où je l'ai fait, je n'avais pas lu La Chambre claire. Rancière lui l'avait certainement lue, alors pourquoi outrepasse-t-il les requêtes de Barthes? Parce qu'il ne les a pas comprises? Ou peut-être désire-t-il tellement faire entrer la notion d'image pensive dans une explication globale qui fait systématiquement référence au monde social, politique, qu'il force ses sources à entrer dans le moule dont il a besoin, quitte à amputer ses sources de leur essence.
Un autre avertissement que Rancière n'a pas perçu, pourtant clairement donné par Barthes :
la phtographie de l'Operator était liée au contraire à la vision découpée par le trou de la serrure de la camera obscura. Mais de cette émotion là(ou de cette essence) je ne pouvais parler, ne l'ayant jamais connue;je ne pouvais rejoindre la cohorte de ceux qui traitent de la photo-celon-le-Photographe. Je n'avais à ma disposition que deux expériences : celle du sujet regardé et celle du sujet regardant.
Rancière quand il évoque les photos choisies par Barthes, donne systématiquement au lecteur le contexte dans lequel le photographe les a prises, alors que Barthes les a choisies en tant que sujet regardant.
Dans la première partie de ce devoir, j'ai cité beaucoup de phrases de Rancière, pour équilibrer mon devoir du côté de La Chambre claire, je veux poser ici un extrait que j'aime de Barthes citant Blanchot :
Car, du point de vue du regard, "L'essence de l'image est d'être toute dehors, sans intimité, et cependant plus inaccessible et mystérieuse que la pensée du for intérieur;sans signification, mais appelant la profondeur de tout sens possible;irrévélée et pourtant manifeste, alliant cette présence absence qui fait l'attrait et la fascination des sirènes."Blanchot

Il me semble que le manque est inhérent à l'image pensive. Dans le spectateur émancipé c'est cette idée de manque qui m'a manquée.

Commentaires

Le 14 août 2010 floflo à dit :

anne, kieran, pardon on en est au dessert je peux pas lire tout ça à table, par contre je serais ravi de lire ça au calme.
kiran, balance donc la came sur mon mail!
des bises,
florent.

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